Demeurer humble: Une naissance par les pieds

Editor’s note: This article first appeared in English in Midwifery Today, Issue 52, Winter 1999.
La note du rédacteur: Extrait de Midwifery Today No. 52, hiver 1999.
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Traduit de l’anglais par Marypascal Beauregard et Bernard Bel

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Le téléphone sonne à 4h du matin. C’est Scott, le partenaire de Teresa. «Les eaux se sont rompues, les contractions ont débuté et nos doulas sont en route.» Je le félicite, lui pose quelques questions et lui affirme que bien que l’accouchement soit en avance de trois semaines, tout est sous contrôle. Je lui demande de me rappeler lorsqu’ils sentiront qu’ils ont besoin de moi. Je me retourne et tâtonne pour enlacer mon mari, mais je réalise soudainement qu’il est absent. Il est parti dans les contrées sauvages de la Caroline du Nord pour préparer notre nouvelle maison. Je dois demeurer ici pour accueillir encore quelques bébés qui doivent naître, pour ensuite aller le retrouver.

Teresa est une membre de «La Tribu», un groupe de femmes dans la communauté périnatale qui se rencontrent une fois par mois pour étudier et partager des histoires de naissance. Elle a commencé à venir aux réunions il y a environ 1 an et toutes les personnes l’ayant rencontrée sont devenues en amour avec elle, et spécialement moi! J’attendais cette naissance particulière avec beaucoup d’allégresse. Dans un demi-sommeil, je me remémore nos rencontres prénatales.

Nous sommes mardi. Samedi dernier, Teresa est arrivée à l’avance à la formation de doula et s’est mise disponible pour que les étudiantes puissent palper son ventre bien mûr, écouter le cœur fœtal, prendre sa tension artérielle et lui poser une tonne de questions. Lors de la dernière formation, Teresa avait posé ses mains pour la première fois sur le ventre d’une femme enceinte et elle s’en était extasiée. Samedi, elle observait avec délice les étudiantes avoir la même réaction avec elle. Elle avait annoncé que le bébé était un garçon et que son prénom serait Zane Alexander.

La doula de Teresa me téléphone pour me dire que les choses avancent. Je contacte donc mon apprentie et lorsque nous arrivons vers 10h00 am, une douce musique accompagne Teresa et Scott qui dansent sensuellement dans le salon, comme le travail progresse. Les doulas discutent dans la cuisine tout en préparant un breuvage protéiné. L’énergie est lumineuse, fluide et tellement vivante!

C’est mon cinquième accouchement en 7 jours. Je constate que je suis fatiguée et que l’accouchement progresse lentement, ainsi je pense pouvoir prendre le temps de faire une sieste.

Teresa s’est bien préparée. Elle a deux merveilleuses doulas pour l’assister. Je suis venue avec mon apprentie sénior et une junior. Une amie de Teresa, qui est une bonne sage-femme du Tennessee, est aussi présente.

Teresa sent soudain l’envie de pousser; je décide donc de vérifier sa dilatation, m’attendant, avec les sons qu’elle fait et l’expression sur son visage, à ce qu’elle soit complète. Elle est effacée à 80% et dilatée de 3 cm. Le bébé est haut, -3 et sa tête est légèrement «pointée». Je ne m’attend pas à un moulage à ce point-ci, donc je parle calmement à Teresa et à son équipe. Nous avons besoin de la placer en position confortable pour pouvoir discuter de la suite des choses. Mais Teresa refuse de demeurer immobile. Nous lui administrons des herbes pour aider le processus. Teresa va dans la douche et utilise le ballon d’accouchement. L’envie de pousser s’estompe, alors Teresa, Scott et toute l’équipe vont marcher.

Une autre sage-femme, Susan, s’arrête à la maison pour prendre des papiers et elle reste pour bavarder un peu. Elle est encore présente lorsque Teresa et ses amis reviennent. J’examine à nouveau Teresa. Elle est effacée à 100% et dilatée à 4 cm, mais je ne peux compléter le cercle du col avec mes doigts. Un lointain bourdonnement dans ma tête devient de plus en plus fort. Je m’entend appeler très doucement Susan. Au même moment, deux petits pieds, les orteils en premier, passent le col. Dans le lointain, Teresa répète encore et encore «qu’y a-t-il?». Je ne peux répondre parce que je suis bien loin de cette naissance, de cette femme, de cette vie. Je sens la peur, une peur envahissante pour le bébé, pour cette femme, pour toutes les femmes présentes, pour Scott, pour la sage-femmerie. Finalement, je regarde le visage de mon amie et lui dit: «si ça ne te dérange pas, j’aimerais que Susan t’examine pour confirmer que ton bébé est en position pour naître par les pieds». Lorsque je me lève pour laisser ma place à Susan, je perd presque conscience. Je suis tellement sous le choc, si triste et désolée.

J’ai déjà assisté à des naissances par le siège en tant que doula, à l’hôpital seulement. Ces naissances impliquaient toujours des césariennes d’urgence, ou de larges épisiotomies produisant à ce qui me semblait être des litres de sang—les bébés s’étouffant, en naissant à travers le sang de leur mère. Ces bébés étaient en détresse respiratoire parce qu’ils avaient inhalé le sang dans leurs poumons.

Je croyais que cet accouchement allait nécessiter un transfert et une chirurgie à un hôpital qui n’était pas particulièrement amical envers les sages-femmes ou les accouchements à domicile. J’imaginais mon amie, ayant Zane coupé de son corps.… Je pense aux propos de mes professeurs—Ann Fuller, Elisabeth Davis, Harriet Palmer. J’avais suivi tous les cours qu’elles offraient, en incluant un apprentissage de 6 ans avec Harriet. Elles m’avaient appris à «reconnaître le normal». Les dernières paroles qu’Ann Fuller m’a dites sont «reste humble». J’avais gardé ces paroles dans mon cœur tout au long de ma route de sage-femme. «Ne pas nuire», de Sœur Angela Murdaugh. «Aime la femme et aime la famille», de Harriet. «Protège les femmes avec qui tu travailles» disait Carol Knight. «Aie la foi, fais confiance à la normalité», de mon amie Faith Gibson.

Mon dieu! Qu’est-ce qui est normal?!

Susan, apercevant ma détresse, met sa main sur Teresa et tient la mienne en même temps. Elle dégage calme et réconfort en parlant à Teresa et Scott: «Oui, votre bébé va ‘marcher’ vers l’extérieur. Comment vous sentez-vous à ce propos?»

Teresa éclate en sanglots et nous implore de rester à la maison avec elle. Elle agrippe la main de Scott et le regarde dans les yeux. «Je n’ai jamais été à un hôpital et je ne veux pas y aller».

Elle nous dit qu’elle est forte et brave et qu’elle accouchera de ce bébé à la maison. Susan l’écoute et lui fait confiance. Moi aussi. Nous parlons doucement des complications possibles pour elle et le bébé, la possibilité d’un transfert si le bébé montre des signes de difficulté. Tout le monde dans la pièce respire mieux quand Susan dit: «Nous allons rester avec toi. Nous allons vous donner, à toi et à ce bébé, la chance de prouver votre bravoure et votre force».

Je rajoute: «Nous n’allons prendre aucune chance avec ta vie ou la sienne. Au premier signe de problème, nous vous transférons.» Teresa et Scott acquiescent.

Susan explique les règles: «Tu dois faire le travail allongée sur le dos, les membranes sont rompues et tu as deux petits pieds dans ton vagin. Nous ne voulons pas que le cordon glisse entre les deux jambes avant que nous soyons prêtes.… Le bébé est couché sur ton rectum, donc tu sens le besoin de pousser, mais tu ne dois pas le faire. Tes doulas et tout le monde ici t’aidera à compenser durant les contractions. Tu es forte et tu veux accoucher ici. Tu seras capable de le faire, mais tu seras très inconfortable.»

Susan me demande si elle peut appeler sa fille et une sage-femme avec laquelle elle a assisté plusieurs naissances. Parce que Susan et moi n’avons jamais travaillé ensemble, je crois que c’est une bonne idée. Je commence à m’inquiéter à savoir comment sortir tout le monde d’ici en cas de transfert. Je sais qu’un transfert peut très mal se dérouler à cause de l’attitude du personnel médical envers les sages-femmes et les accouchements à domicile et je désire protéger les apprenties et les doulas que j’ai moi-même formées et que j’aime profondément.

La fille de Susan et son amie sage-femme acceptent de venir nous aider. Sa fille prend de magnifiques photos et tourne un film vidéo comme une pro. Sa partenaire sage-femme, Lucinda, a le visage d’un ange et la même calme assurance que Susan. Il m’apparaît peu à peu que la situation leur apparaît normale. Je suis abasourdie et déconcertée. Susan et Lucinda expliquent sans arrêt à Teresa et Scott ce qui se passe durant l’accouchement. Lucinda avait apporté une vidéocassette des accouchements par le siège qu’ils peuvent visionner. Susan téléphone à la sage-femme qui a conçu la vidéo, lui explique la situation et raccroche avec la ferme conviction que tout va bien se dérouler. Je commençe à réciter mon mantra: «Faire confiance à la mère, faire confiance au bébé, cette naissance sera normale.»

Teresa, Scott et moi sommes tour à tour en larmes et riant nerveusement. Je les aime tellement; je veux que tout aille bien. Mais j’ai des doutes harcelants. Teresa est en réalité la cliente de Harriet. Le bébé s’amène trois semaines plus tôt que prévu et Harriet est hors de la ville. Harriet me fait confiance; nous travaillons ensemble depuis six ans. Qu’est-ce qu’elle dirait si elle entendait cette histoire?

Je finis par sortir à l’extérieur. Je trouve un vieux hangar, j’y entre et m’assois. C’est sombre, froid et ça sent un peu la moisissure. Je lève les yeux et aperçoit un petit rayon de soleil pénétrer par un trou du toit. Le rayon touche une feuille d’arbre. Je fixe mon attention sur la feuille et commence à parler aux Anciens. Je leur demande de calmer mon cœur endolori et de veiller sur nous. Je leur demande de nous guider et de nous aider à accomplir l’action la plus sécuritaire. Je demande pardon. J’ai parfois été imprudente dans le passé, je ne suis pas toujours «demeurée dans l’humilité». Je leur fais d’innombrables promesses—s’ils nous protègent, je vais cesser de fumer, aimer d’avantage mon mari et avoir plus de considérations pour la vie qui m’a été donnée.

La Vieille Femme rit et embrasse les larmes sur mon visage. Les Anciens dissent: «nous avons amené beaucoup de monde à toi aujourd’hui, nous t’avons envoyé Susan, Lucinda et Alexis. Va avec elles, cette naissance est normale. Va avec elles, cette naissance est normale. Cet homme entre dans toutes ses vies en marchant. Il l’a fait à de nombreuses reprises auparavant. Il est un marcheur. Ses parents auront à le surveiller attentivement ou ils le perdront à d’innombrables occasions parce qu’il marche.»

Soulagée, je reviens vers la maison. Susan est à la porte. Elle dit: «J’ai besoin de toi ici, les battements du cœur du bébé sont élevés.» Calmement je dis: «Demande à Teresa de boire un litre d’eau.»

Teresa approche un immense contenant d’eau de ses lèvres et se met à boire. Avant qu’elle n’ait terminé, le cœur du bébé était redevenu normal. Je sus à ce moment que les Anciens étaient entrés dans la pièce. Cet accouchement allait bien se dérouler. Zane Alexander fit son entrée moins de trois heures plus tard. Avec joie, je regarde Susan et Lucinda parler à Teresa tout au long de l’accouchement. Teresa accomplit bravement tout ce qu’elles lui dirent de faire. Zane est né avec les yeux grands ouverts, il pleura immédiatement et chercha le sein de sa mère en moins de 15 minutes. Il pesait 7 livres 8 onces, son Apgar était de 8-9-10. Trente minutes après avoir accouché, Teresa allaitait Zane, en mangeant une pointe de pizza et en parlant au téléphone.

Ma vie et certainement ma pratique de sage-femme auront été changées pour toujours par cette naissance. A l’intérieur d’une période de deux mois, j’assistai à deux autres naissances par le siège. J’étais la première sage-femme, et je n ‘étais pas effrayée.

About Author: Claudie Cameron

La sage-femme Claudie Cameron vit à Hendersonville, en Caroline du Nord avec son mari Donald. Elle travaille en tant qu'éducatrice périnatale, doula et assistante sage-femme dans un hôpital et à domicile.

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